Extrait de Zelda la rouge


Je suis restée longtemps immobile à vérifier mon solde de tout compte après que mes amis sont partis horrifiés. Je ne pouvais pas bouger, je regardais par la fenêtre de ma chambre le ciel d’un bleu impeccable, les touffes vertes des cimes des bouleaux, le petit nuage sur lequel je n’étais pas, heure après heure, jour après jour. Tout était l’ennemi. Tout était plaisirs interdits.
Jusqu’à ce matin où j’ai pu m’asseoir. Et le même ciel, les mêmes arbres soudain se sont gorgés de joie pure. J’ai demandé à l’infirmière d’ouvrir la fenêtre. Les parfums tenus en laisse à l’extérieur se sont engouffrés, se sont mis à pulser, puissants, sauvages à renverser les montagnes. Un avion signait son trait blanc de gauche à droite, de bas en haut. En réalité une ennuyeuse mécanique – peut-être le Marseille-Copenhague –, dans mon âme un symbole : celui d’un appétit retrouvé, de la vie plus forte que tout, plus forte que nous.
Je me suis rendu compte que la vie valait encore d’être vécue, et puisque je n’avais pas décidé de fermer le livre, il était temps de démarrer un nouveau chapitre.



De ce qui se passe ensuite, il me reste des bribes parfumées, des fragments de murs bleus et des lambeaux de soleil vif, avec en gros plan nos corps qui s’affolent, la peau inconnue, les perles de sueur, les odeurs, toute la belle nouveauté de l'étreinte, la première du monde, la dernière. Les mots ont fui, les pensées aussi, et la minuscule éternité se répand. Mais ce qu’il faut de tendresse à un miracle pour s’épanouir, je ne l’ai pas en moi. Jouir, je sais. C’est facile, ça secoue, ça enivre, ça laisse vaincu et vainqueur, pantelant et satisfait. Pendant trois minutes, cinq ? Au bout desquelles les pensées se remettent en ordre de marche, l’ordre qu’elles connaissent le mieux – leur foutue routine.



… je te promets d’être à nous.
Je l’ai dit. Ou une autre moi-même l’a dit, celle qui vit dans un monde où Darcy roule des pelles à Elisabeth pour les siècles des siècles.
Je te salue la vie, pleine de grâce.
J’enfourche mon destrier. Je suis dotée de super-pouvoirs et chaque coup de pédale propulse mon vélo magique. Je subodore les dangers, la voiture qui déboîte, la vieille qui trottine sur un passage clouté au mépris de la couleur rouge, la moto qui vire à droite sans prévenir. Tous mes feux sont au vert. Le monde me tourne autour et il n’en sait rien. En bas du chemin Saint-Fuscien, le soleil emporte la crête de la cathédrale vers un crépuscule radieux qui me mange dans la main. Passé et avenir sont aux oubliettes et le présent est une offrande.


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