Extrait de Un hanneton dans le plafond


Après, on marche si longtemps avant d’entendre le moindre bruit de moteur que je me demande si c’était une bonne idée de choisir une si petite route. J’aurais peut-être du accepter la proposition du pépé, ce serait huit kilomètres qu’on n’aurait pas fait à pied. Mais en bon sprinter qu’on ignorait, Momo trottine toujours une dizaine de mètres devant moi.

D’un seul coup, il pile net pour regarder les vaches dans un pré. Je le rejoins sans forcer juste au moment où il décide qu’il va aller les caresser. Là bien sûr, le hanneton s’en mêle et pas moyen de le faire changer d’avis.

C’est la première fois que je vois une vache d’aussi près. C’est vraiment énorme, ça vous écraserait comme rien si ça voulait. Mon petit frère est gonflé de ne pas avoir peur, où inconscient. D’ailleurs, ça doit être souvent comme ça : on croit que les gens sont courageux alors qu’ils sont juste inconscients.

Momo avance à pas de sioux, exactement comme s’il savait comment s’y prendre pour ne pas effrayer l’énorme vache rousse et blanche qui pourrait le rétamer d’un coup de corne si elle n’était pas pacifique. Il la caresse entre les deux yeux et sur le museau. Elle a l’air d’aimer ça, le laisse faire, puis sort sa grosse langue baveuse pour lui lécher la main. Momo se marre, ne pense plus du tout à son père mort ni à sa mère désespérée. Je l’envie. Moi, j’y pense tout le temps.

- Bon, on y va maintenant ?

- Les mouches l’embêtent, dit-il, ignorant ma proposition et jouant les chasse-mouches pour son nouvel animal de compagnie.

- Elle a l’habitude, c’est pas grave. On y va ?

- C’est quoi ça ?

- Quoi çà ?

Il montre le ventre de la vache où pendent d’énormes pis.

- Ben… c’est les pis. Quand on tire dessus, il en sort du lait.

- Du vrai lait ?

Là, je me rends compte que j’aurais mieux fait de me taire, parce que Momo prend tout ce qu’on dit au pied de la phrase. C’est vraiment le genre d’humain avec qui on a intérêt à ne pas parler pour ne rien dire et à tourner trente-six fois sa langue dans sa bouche avant de l’ouvrir, parce que tout ce qu’on dit est susceptible de devenir une source d’embêtement.

Comme par exemple le lait qui sort des pis de la vache.

Cette révélation illumine le visage de Momo qui se précipite aussitôt pour tirer sur les mamelles de la bestiole.

- Momo arrête, on n’a rien pour le mettre de toute façon…

- J’y arrive pas !

J’avoue que la perspective de boire une giclée de lait finit par m’allécher aussi.

« Ça ne doit pas être si difficile », me dis-je, en mon for intérieur.

Je rejoins Momo prudemment en surveillant du coin de l’œil les autres vaches qui sont en train de se rapprocher de nous, qui sommes en quelque sorte leur attraction de la journée.

- Attends, je vais essayer.

Je tire, je pince, je pétris. La vache a l’air de s’en balancer complétement et pas une goutte de lait ne transpire. Je tire plus fort. Rien. Je tire de toutes mes forces. Cette fois, ça ne lui plaît pas du tout. Elle meugle et me balance un coup de queue en pleine figure. Je suis à moitié aveugle et mes mains sentent la vache à un kilomètre.

- Pouah ! ça pue ! En plus, elle m’a fait mal, je ne vois plus rien de l’œil gauche. Ecoute Momo, on n’y arrivera pas, il doit y avoir un mot spécial pour qu’elle le laisse couler.

- Un mot spécial ?

- Oui, un mot que le fermier est le seul à connaître. Sans ça, tout le monde lui piquerait son lait, tu comprends.

- Ah oui, convient Momo. Puis après un instant de réflexion, il ajoute : mais quel mot spécial ?

Une providentielle deux-chevaux aux couleurs d’arc-en-ciel arrive en ronronnant pour me tirer d’embarras.

- Viens vite, on va voir la mer !

- Mais on reviendra voir ma vache, hein ?

- Oui oui.

En vertu de cette malhonnête promesse, Momo se laisse entraîner.


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